Exorciste
Thème du chapitre
À partir du moment où nous avons commencé, en tant qu’espèce, à vouloir faire histoire, à vouloir exister après la mort dans la mémoire des autres, nous avons décidé de conquérir l’imaginaire. En se basant sur ses plaisirs, ses peurs, ses colères et ses tristesses, chaque individu construisait un monde de repères et de sollicitations qui, de fait, façonnait une réalité. Et en les faisant communiquer, ces réalités devenaient une dimension globale… une dimension accessible à tous.
En effet, les esprits humains ont rapidement trouvé un certain confort dans l’espace infini de la mémoire collective et c’est sans doute ce qui les a amené à vouloir se propager également sur ce terrain. Le champ de bataille de la spiritualité, de l’ineffable, s’ouvrit ainsi grâce à ces révolutions réflexives de l’espèce... Car avant de trouver comment vivre et étendre son territoire, comment survivre et perdurer, il fallait répondre à ces premières questions originelles : pourquoi (faisons-nous cela) ? pourquoi (sommes-nous cela) ? pourquoi (vouloir cela) ? Le sens… c’était bien cela qui était mis en perspective. La quête éternelle que ces interrogations laissèrent augurer forgea de nombreux mythes.
De la sorte, ce fut par la croyance que notre première connexion concrète avec l’énergie occulte se fit. Elle permettait de recevoir l’expression complexe de ces flux paranormaux qui se superposaient sur le réel et le supervisaient. Croire donnait à interpréter et comprendre ce qui n’était pas explicable avec les mots, ce qui, dans des partitions vibratoires imperceptibles, dans l’agencement des forces invisibles qui nous entouraient, se laissait interpréter comme l’explication de tout ce qui s’imaginait et ne s’imaginait pas.
Confronté à cette force occulte et aux présences qu’elle engendrait, de nombreux rituels virent le jour à travers le paléolithique et le néolithique, tous reliés par le même axe opératoire : le sacrifice. Sans aucun moyen de se concerter à travers la vastitude du globe, différentes ethnies pratiquèrent cet acte sacré du don de la vie pour prier et remercier des divinités dans des temporalités similaires. Très souvent, ces offrandes étaient demandées par les chamanes ou les oracles, car l’intégralité des interactions avec l’impalpable et l’imperceptible passaient par eux. Ils recevaient les conseils d’entités supérieures : ancêtres, animaux et végétaux fantastiques, représentations de concepts transcendantaux… mais assez souvent, ces prêcheurs crédules devenaient les sujets de ces puissances qui les dépassaient. Au-dessus des hommes, en-dessous du divin, assez éveillés pour voir cette énergie occulte qui composait tous les mouvements, mais encore trop endormis pour la maîtriser, ils se soumettaient aux fléaux sans même le savoir et entraînaient les leurs dans un état de servitude inconscient.
C’était ce qu’on appelait sommairement les proto-religions. Aux premiers balbutiements de la civilisation, quand les humains n’étaient pas encore pleinement maîtres de leurs environnements… lorsque rien n’était établi et que tout était à construire, il n’y avait pas d’autres choix que de s’incliner face aux monstres invisibles. Cet état de servilité poussa certaines communautés, témoins de l’impossible, à se transformer entièrement pour obéir avec plus de finesse aux exigences macabres de certaines créatures occultes. En témoignaient notamment les premiers jets d’écriture de l’Homme : les groupes de chasseurs-cueilleurs avaient ainsi exprimé leurs cultes sur des gravures cryptiques et des spectres naturels semblables à des animaux fantastiques y avaient été dépeints. Il était difficile de statuer précisément sur la nature des divinités en question et sur la fonction que ces dessins occupaient dans leur quotidien, mais ce besoin de marquer son territoire à tout jamais était sans doute issu d’un appel à l’aide ou d’un témoignage de soumission. Oui, cela paraissait fou, mais les premières matérialisations de la mémoire devaient sûrement être un acte guidé…
Toutefois, si dans les régions mésopotamiennes et précolombiennes l’orientation des ethnies vis-à-vis de l’énergie occulte tendait à la sujétion et à la fascination morbide, en Afrique, plus particulièrement dans les régions centrales, les choses semblaient bien différentes : dès - 3000 avant J.C, des ethnies florissantes montraient les premiers signes d’une maîtrise de cette énergie. En apprenant à coordonner les flux d’énergie occulte, à les stocker, à les produire et à les modeler pour les faire agir sur le réel, les premiers mages devinrent capables de prouesses jusqu’alors impensables... Parmi ces sorciers puissants, certains décidèrent de chasser les fléaux, quelques-uns firent le choix de coexister en harmonie avec eux et d’autres se mirent même à les soumettre. La destruction ou la préservation des fléaux fut un enjeu spirituel majeur qui impliqua de multiples conflits entre ethnies africaines : l’Enfer des Zaghawa, la consécration du Grand Alchimiste de Nagada, le massacre des Tllassa-Mbonga…
L’expansion bantoue fut le nom qu’on donna à ces premières luttes occultes entre sorciers. Elles furent à l’origine de la migration de nombreuses tribus à travers l’Afrique subsaharienne et diffusèrent davantage la pratique des sorts à travers le territoire nord-africain. Le proto-bantou fut, à ce titre, la langue originale dans laquelle les premiers enseignements de l’énergie occulte furent transmis. Des échos intemporels, des paroles fugitives, des vocalises, des bruits de peau tambourinée… Seuls quelques bribes parvinrent à traverser l’histoire de l’humanité et à se frayer un chemin dans l’insondable charivari linguistique de la mondialisation, mais la globalité de ce langage fut rapidement oubliée par les mages à mesure que la culture de l’exorcisme se déploya hors d’Afrique. De nombreux théoriciens de l’Orthodoxie exorciste pensent que le proto-bantou est, encore aujourd’hui, le dialecte le plus puissant et le plus efficace pour lancer un sort. Selon eux, les très rares techniques d’incantation pure, qui permettent de générer des sorts par la simple voie de la parole, seraient finalement les résidus lexicaux du proto-bantou.
En -1800 av. J.C, les déplacements de populations qui jusqu’ici s’étaient arrêtées au Soudan, vinrent dangereusement entrer en collision avec la civilisation égyptienne. Les premières interactions furent un conflit à sens unique : on ne pouvait décemment pas arrêter le mouvement d’êtres aussi puissants, en étant dépourvus d’armes pour les combattre. Assez naturellement, on fit le choix de l’entente cordiale. Les trajectoires des chamanes et des mages ne dévièrent pas. Ils vinrent s’implanter, petit à petit, dans la culture des terres du Nil. Les hommes et les femmes qui venaient du “Centre du Monde”, du “Ventre de la Mâat”, furent vivement déifiés ; ils étaient les détenteurs originels de l’énergie occulte, leurs esprits et leurs âmes étaient des matériaux sacrés qu’il ne fallait en aucun cas contrarier. Les familles offraient leurs enfants aux mages, les militaires les protégeaient sans mot dire, les artisans leur faisaient don de leurs plus beaux ouvrages… tandis que les pharaons, dont la prestance se ternissait peu à peu, devenaient complètement fous de l’énergie occulte et se laissaient aller aux plus sombres complots pour l’arracher à ces personnes.
Ramsès II fut connu pour être le premier pharaon de l’histoire à briser l’équilibre entre les ethnies. Il éveilla, après d’interminables sacrifices et d’innombrables incantations désespérées, une énergie occulte totalement effroyable. D’un seul coup, son règne changea d’envergure et le rapport de force entre le pharaon et les mages s'inversa. De dieux humains à esclaves occultes, la transition fut tranchée en une journée, une journée sanglante qui marqua l’histoire de l’exorcisme à tout jamais. Son sort força toutes les personnes dotées d’énergie occulte dans un périmètre de la taille de la grande cité à se soumettre et à lui obéir au doigt et à l’œil sous peine d’imploser littéralement en mille morceaux.
Une puissante vague d’énergie occulte, comme une onde de choc, une véritable lame de fond, s’échappa de son palais et fit frissonner toute la vallée du Nil. Rien n’allait plus être pareil à présent. Lorsqu’il descendit dans les avenues sablonneuses de la cité royale pour considérer son emprise, admirer l’étendue du pouvoir qu’il venait d’éveiller, beaucoup de mages furent transis d’effroi en découvrant comment le serment occulte auquel ils avaient inconsciemment souscrit pouvait anéantir n’importe qui. Son sort inné était terrible et son énergie occulte immense. Fort de cette capacité de soumission infaillible, Ramsès II fit couler des torrents de sang dans le désert. Sa cruauté sans pareille fut responsable de l’annihilation des Hittites et de la traite du peuple hébraïque, mais elle permit également à là civilisation égyptienne de progresser sur d’innombrables domaines : innovations dans la science occulte, constructions déchaînées, créations des premières reliques, étude de la vie après la mort et de la réincarnation… Pour le meilleur et pour le pire, les égyptiens, les soudanais et les mages d’Afrique centrale furent des serfs savants sous la coupelle de Ramsès le bâtisseur pendant plus de soixante-dix années de règne.
Néanmoins, un beau jour, il fut assassiné pendant l’une de ses siestes par un membre du clan Zaghawa, une ethnie soudanaise prisonnière des égyptiens. En effet, le héros Abou Tei développa un sort en s’inspirant du fonctionnement constitutif des fléaux pour parvenir à supprimer l’obligation des contrats. On l’appela le sort d’inversion. Inventé pour se libérer du joug des serments, ce sort donna l’opportunité au héros de perforer la gorge du vieux tyran. Cette manipulation de l’énergie occulte devint la marque du peuple sauveur, les Zaghawa. Après toutes ces années de règne sans partage et d’eslcavage des mages, la plus grande menace d’Afrique de l’époque s'éteignit et laissa derrière d’importants vestiges occultes.
Paradoxalement, son héritage fut quelque chose d’assez bénéfique pour l’ensemble des mages du monde occulte : non seulement Ramsès II était devenu le premier utilisateur de serments occultes de l’histoire exorciste, mais il était également le premier profane, être humain initialement dépourvu des capacités cérébrales nécessaires pour exécuter un sort, à devenir un mage d’une puissance colossale… Il fut de surcroît l’un des premiers mages à signer un pacte de son vivant avec un de ces fléaux intelligents qu’on appelait les démons. Ces êtres occultes capables des prouesses les plus folles et des machineries les plus viles, doués pour nouer des liens avec les mortels et leur offrir de précieux cadeaux d’allégeance, furent ainsi découverts avec la postérité du grand pharaon. Les destructeurs du monde matériel, les bâtisseurs du monde occulte… Chaque clan africain décida d’interpréter les signes que ces monstres laissaient dans les conflits entre mages, dans les conflits entre les hommes, dans les désastres et de prendre position.
Thème du chapitre
Ces démons avaient vocation à se nourrir des horreurs et des erreurs de l’Humanité, alors ils œuvraient tout naturellement pour que les hommes continuent à en faire. Une chose était sûre pour les Zaghawa, les Ket et les Mbonga : le massacre des mages d’Afrique par Ramsès II était le fait d’une de ces entités démoniaques. Plus que contre les hommes mal intentionnés, il fallait à tout prix lutter contre les démons qui leur donnaient le pouvoir de réaliser leurs plus sombres desseins. Dans l’Afrique antique, dès - 800 av. J.C, le rapport des mages aux fléaux s’affina et devint encore plus avisé qu’il ne l’avait été jusqu'à auparavant : s’ils n’étaient pas tous complètement néfastes et qu’ils contribuaient, pour certains, à équilibrer le débit des flux d’énergie occulte, la nature propre des fléaux s’opposait à la survie et au bien-être des être humains. Les mages, qui étaient jusqu’à présent considérés comme des êtres humains surpuissants dotés de capacités innées à maîtriser l’énergie occulte, devinrent des exorcistes, des régulateurs de la vie occulte et du développement des fléaux. Les démons étaient vraisemblablement une espèce de fléau très réfléchie, alimentée par les peurs humaines, et en cela, ils avaient les compétences pour diriger des entreprises maléfiques, manipuler les consciences et innover dans l’utilisation de l’énergie occulte. Il n’était plus possible de faire fi de cette information, il fallait agir savamment, rapidement et efficacement. La lutte contre ces entités devenait ainsi une évidence.
Le rôle de ces nouveaux exorcistes fut de protéger la vie, humaine et animale, de la vie occulte. Toutefois, pour son bon développement, cette pratique se devait d’être partagée à tout le monde. Elle se vouait à être propagée. Alors, bon nombre allèrent se disperser à travers le globe en se dirigeant du bassin Levantin jusqu’aux plaines iraniennes. Pour la plupart, ils remontèrent jusqu’à l’actuelle Cisjordanie et décidèrent de s’y installer, mais quelques-uns prolongèrent leur voyage jusqu’aux confins de l’Asie orientale. D’autres, moins axés sur le prosélytisme, vinrent se confronter aux barbares du Nord de l’Europe. Enfin, une infime poignée de mages renégats issus d’une confrérie nommée les Nécrologues de Kabou prit la mer à bras le corps et alla, seule, s’aventurer jusqu’aux bords de la Terre pour trouver ceux qu’ils estimaient être les justes réceptacles de leur savoir. Ce fut l’Exode Révélatrice (-700 av. J.C), considérée par les scribes de l’histoire exorciste comme l’explosion démographique des exorcistes et la raison de la diffusion des connaissances sur l’énergie occulte à travers le globe. Cette diaspora des exorcistes modifia la société de fond en comble. Elle fut à l’origine des progrès faramineux que connurent les différentes civilisations à travers le monde à ce moment-là : l’essor de la science grecque pendant l’époque archaïque, la période des printemps et automne en Chine, le développement des royaumes de Phénicie…
Le polythéisme, encore très prégnant au sein des civilisations antiques, fut de plus en plus contesté par les éclaircissements réflexifs des exorcistes qui débarquaient d’Afrique. On dévoila que l’objet et le sujet de leurs vénérations n’étaient autre que de viles créatures, bien existantes, dont les objectifs ne servaient en rien la cause du sens et de l’amour que les humains devaient suivre. Il fallait cesser de prier ces démons et ces spectres. Il fallait repenser la spiritualité, la mettre au service de l’Homme, la désensauvager, élargir le champ des considérations au-delà des inconnues terrestres. Il était important de leur faire comprendre que, par-delà les fausses divinités qui se proposaient aux croyants crédules, l’homme devait se suffire à lui-même pour grandir.
Quelques cités-tampons furent ainsi érigées dans la région du Proche-Orient comme des bastions protecteurs pour permettre aux exorcistes de se reposer lors de leurs pèlerinages : Damas, Samarie, Jéricho, Hébron…
Ceux qu’on appela les “barbares païens” les attaquèrent à de nombreuses reprises. Leurs provenances géographiques, leurs théogonies et leurs capacités variaient parfois du tout au tout, mais une chose les liait tous : leur aversion pour l’exorcisme. Des affrontements parfois gigantesques, impliquant des centaines de milliers d’individus, eurent lieu dans le Moyen Orient, et ce, pendant près d’un millénaire. Une période longue et sombre à travers laquelle les premières velléités de création d’un monothéisme protecteur, érigé contre les fléaux et les païens, furent lancées… sans franc succès.
Bien au contraire, la plupart des cultures perçurent ces nouvelles conceptions exorcistes comme un affront impardonnable. On ne pouvait décemment pas arriver et révolutionner les sociétés du jour au lendemain en renversant l'établissement de spiritualités séculaires par de simples affirmations et des petits miracles.
De -400 jusqu’à l’an 300, les exorcistes furent chassés d’Europe et des plaines caucasiennes. Pendant près de 700 ans, l’avènement d’empires immenses, comme ceux de Rome, de Grèce ou de Macédoine, contribuèrent à saper la croyance hérétique en un dieu unique, surplombant la Terre, le cosmos et le(s) monde(s) occulte(s). Pire encore, les dirigeants de ces grands royaumes luttèrent ardemment contre les messagers, exorcistes ou profanes, d’une quelconque parole divine au point de devenir le premier rempart païen contre le développement de la culture anti-fléau. Sous les conseils avisés des maîtres des fléaux et des démons qui agissaient dans l’ombre des grandes figures de l’histoire humaine, on tortura, démembra, crucifia, décapita, ébouillanta les prêcheurs exorcistes jusqu’à ce que l’évocation de leurs préceptes ne devienne plus qu’un bref souvenir. Les forces occultes étaient difficiles à évincer : on ne vainquait pas le mal par la démonstration d’un monde hypothétiquement meilleur, il fallait aller au-delà de ce qui avait toujours été, il fallait creuser encore plus loin. Alors, il était légitime de se demander : qu’est-ce que ces hommes et ces femmes illuminés avaient à offrir que les oracles païens ne pouvaient pas fournir ?
Ce fut une question profonde, difficile, à laquelle une seule personne trouva une réponse satisfaisante et… somme toute assez simple : la démonstration concrète d’une puissance qui dépassait les fléaux et leurs maîtres les plus habiles, une puissance incommensurable mise au service d’un amour inconditionnel, une puissance capable de surpasser la mort et les sceaux, la matière et le mouvement, l’espace et le temps. En l’an 30, un exorciste de Galilée, qu’on surnomma le Messie théophore, Jésus de Nazareth, forma une puissante assemblée de disciples après sa Résurrection d’entre les morts. Il avait été violemment crucifié par le préfet romain Ponce Pilate à Jérusalem en guise d’exemple pour dissuader tous les prédicateurs anti-fléaux de propager leurs paroles. Après avoir été scellé par le rituel païen de la croix, censé disperser l’énergie occulte et l’âme dans trois directions strictement opposées, il était finalement réapparu. En ayant toujours affiché une profonde défiance envers les fléaux dans ses prêches, cet hérésiarque parvint à prouver qu’il était accompagné par une entité divine, supérieure aux démons, aux spectres… une forme d’existence universelle, omnisciente, omniprésente, omnipotente, omnijuge et omniforme appelée Dieu.
Sa simple présence dans l’imaginaire collecitf révolutionna la conception de la vie après la mort, y compris chez les mages. D’aucuns savaient que les âmes des mages qui n’étaient pas parvenus à accomplir leurs desseins de leur vivant pouvaient produire des fléaux issus de leurs mémoires, les Esprits Vengeurs… On disait que certains fléaux d’une puissance absurde étaient capables d’offrir une chance de vaincre la mort… Et pourtant, aucun de ces schémas n’expliquaient réellement ce que cet homme prophétique venait de réaliser. Son corps était fait de chair rouge, son âme n’était pas viciée et son esprit, obstrué par aucun serment. La question se posait bel et bien : comment ce miracle, que même la science occulte n’expliquait pas, avait été possible ? Cet événement changea absolument tout chez les exorcistes et les païens. Il força bon nombre de ceux qui refusaient de voir que la cause des fléaux, dieux des polythéismes, desservait celle de l’humain à se soumettre à une puissance qui leur était en tout point supérieur. Ce fut là le début de la longue évangélisation du monde européen.
Beaucoup de maîtres des fléaux se rangèrent ainsi sous la coupelle des Disciples du Christ et abandonnèrent leurs allégeances démoniaques. Parmi les très nombreux surnoms qu’on alloua à cet homme providentiel revenu des morts, celui du Sauveur retint particulièrement l’attention des non-initiés. Connu de son vivant pour son sort inné de transformation de la matière, il légua à ses disciples, au moment de son départ, une incantation en proto-bantou capable de libérer toutes les personnes de l’emprise des démons. Ce sort appelé a posteriori le kérygme (proclamation à voix haute en grec ancien) permit à tous les Disciples du Christ de transmettre des sensations, des évocations, des visions de la vie christique et de briser les serments occultes non-désirés. On décida de promulguer ce rite exorciste et de le transformer en confession de foi chrétienne en 451 en l’appliquant sur une relique pour l’appeler le Symbole de Nicée-Constantinople. Son activation devint l’un des plus importants mots d’ordre des Disciples du Christ. Cette phrase était la seule parmi toutes les prononciations absconses en proto-bantou énoncées par Jésus et inscrites dans le codex par Saint-Jean qui était prononcée dans une langue intelligible : « Si le monde te déteste, rappelle-toi qu’il a tout d’abord détesté Dieu. ». Elle était destinée à tous les exorcistes qui avaient subi l’opprobre, à tous les mages blancs bafoués par les considérations païennes. Elle rappelait que la foi, cette croyance profonde en l'ineffable, était ce qui avait permis aux hommes de voir, puis de maîtriser l’énergie occulte.
Les mages les plus alertes firent assez rapidement le parallèle avec le sort d’inversion du héros-sauveur Abou Tei. Lui et Jésus avaient beaucoup trop en commun qu’il ne s’agisse que d’une simple répétition de coïncidences : on avait agi à travers eux. Ceux qui avaient eu le pouvoir de changer les choses en profondeur avaient toujours fait montre d’une énergie occulte positive, basée sur le soin et la construction.
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De l’autre côté de l’océan atlantique, à la jonction entre les deux immenses portions de continent qui ceignaient le bord de la Terre, la Mésoamérique vit naître, doucement, mais sûrement, une véritable culture annexe de l’énergie occulte. Les Olmèques, considérés comme les premières sociétés d’Amérique, furent confrontés très tôt aux fléaux qui peuplaient l’enfer vert des forêts équatoriennes et développèrent, à leur contact, un lien assez particulier avec le monde occulte. La vénération attentive et l’érudition incrédule des phénomènes occultes permirent à cette large ethnie d’effleurer une soie de vérité jusqu’alors impalpable.
En effet, en analysant le développement des fléaux et des flux d’énergie occulte, ils apprirent à lire le ciel et à comprendre une mythologie, une cosmogonie, que même les mages noirs les plus dévoués d’Afrique centrale n’eurent jamais l’occasion de percevoir. La science occulte du Grand Alchimiste de Nagada, inventeur des premières reliques, parut vide, lacunaire, presque inepte, lorsque les codex olmèques furent découverts au milieu du second millénaire après Jésus-Christ. Des glyphes représentant une parfaite, sinon intacte, constitution des astres de notre galaxie… Des graphies runiques inscrites sur les stèles de Tres Zapotes montrant les différents niveaux de profondeur d’un trou noir… Des calculs mathématiques utilisant des fonctions que seul un super-ordinateur pourrait résoudre gravés dans de la pierre volcanique… Tout laissait à penser que cette civilisation précolombienne n’était pas comme les autres, qu’elle était presque, quelque part, une secte d'extraterrestres. Les origines de ce peuple avaient été si habilement occultées par les Mayas, que certains en venaient même à se demander s’ils avaient réellement existé.
Et pour cause, les Olmèques étaient encore aujourd’hui considérés comme la civilisation la plus mystérieuse de toute l’histoire des exorcistes. Pourtant, aucun d’entre eux n’avait été un surhomme, ni même… un mage. Les analyses archéologiques menées par l’Orthodoxie exorciste après la Grande Guerre Sainte avaient été formelles : les premiers êtres humains à s’être rendus réellement maître de l’énergie occulte sur le continent américain faisaient partie de la dynastie des Mayas. Ceux qu’on appela les « uxe’nab’al » (litt. ceux qui ont tout commencé) furent les élus du sort inné de l’illustre clan Xquic, la caste souveraine principale de l’Empire Maya. Protagonistes des grands livres religieux, on les considéra très vite comme des prophètes. Leur pouvoir immense, capable de réguler la masse, l’attraction et la gravité, permit aux dirigeants de se construire une véritable identité mythologique.
Beaucoup pensaient, à ce titre, que l’extinction de l’ethnie olmèque et l’avènement du peuple maya constituaient un seul et unique phénomène. Car même si les données historiques paraissaient indiquer une cohabitation entre les deux civilisations, il était bien difficile d’imaginer deux cultures aussi fortes coexister tranquillement dans un aussi petit périmètre géographique. Toutefois, il était légitime de se demander : de quelle nature avait été cette transition ? Était-il question d’une passation graduelle ou d’un lent massacre ? Après tout, les Mayas présentaient des connaissances aussi avancées que les Olmèques sur les thématiques astronomiques, mais contrairement à leurs prédécesseurs, la cible de leur adoration n’était pas ces entités surnaturelles qui peuplaient abondamment les espaces occultes de la Mésoamérique. Non… leur culte semblait aller beaucoup plus loin. Il portait sur des points métaphysiques que même les démons les plus savants ignoraient. C’était comme si les Mayas en savaient plus sur les fléaux que les fléaux eux-mêmes… comme s’ils étaient au fait de ce qui se passait dans l’inframonde et dans le supramonde.
De qui avaient-ils reçu ces précieuses informations ? Les Xquic priaient Hunab Ku, le Père de la Nuit. C’était la raison pour laquelle ils dédaignaient aussi bien les éléments matériels que occultes. Ils considéraient son absence comme la raison de tous les malheurs et que son arrivée, depuis le ciel noir, devait être promptement prédisposée par les agissements des Empereurs Mayas. Ils lui devaient tout. Les prêtres uxe’nab’al des hautes-terres sur lesquelles s'étendait l’Empire Maya étaient appelés les contemplateurs du vieux-dieu, ou plus vulgairement, les cous levés, car ils étaient réputés pour se tenir, toujours les yeux rivés au ciel, à contempler les astres et à appeler Hunab Ku, le créateur du vide interstellaire. Ils se préparaient à sa venue à chaque instant. Cette abstraction cosmique était tirée des écrits olmèques, elle était initialement considérée comme la voie suprême au-dessus des étoiles et des planètes, à la fois vivante et morte. Elle avait évolué chez les Mayas pour devenir une forme plus concrète : la personnification occulte de la non-existence, la manifestation ultime de ce qui n’est plus, de l’envers éternel.
Assez étrangement, les capacités occultes des uxe’nab’al les plus fervents évoluèrent à mesure que leurs prêches et leurs sacrifices se multiplièrent. Ceux qui étaient déjà capables d’altérer la gravité se mirent à travailler sur des sorts de causalité de plus en plus catastrophiques, des réactions en chaîne qui allèrent se répercuter à des milliers de kilomètres de leur localisation. Comme une forme de suite logique à leur intérêt pour l’espace intersidéral, ils étaient devenus les hérauts de la vibration cosmique. Cette brèche spatiale vers l’insondable connaissance de l’Univers que les Olmèques avaient entrouverte fut impunément traversée par les Xquic. Contrairement à leurs contemporains égyptiens, les chefs de cette civilisation n’avaient pas eu besoin d’un pacte avec un démon ou une Calamité pour devenir des dieux-mortels : l’évolution de leurs cortex cérébraux s’était opérée presque naturellement, comme s’il s’agissait de l'œuvre de quelque chose de supérieur, comme si quelque part, on contribuait à les relier à une autre dimension occulte.
Rapidement, le clan Xquic se mit à assujettir et à massacrer le reste des civilisations précolombiennes et ce, pendant mille années de souffrance absolue : zapotèques, toltèques, aztèques, mixtèques, canaris, incas, chibchas, mochès… Ils harcelèrent, puis absorbèrent et génocidèrent tous leurs opposants. La population hébétée par l’afflux abondant de nourritures et de récits prophétiques se rendit disponible aux sacrifices pendant tout ce temps. Sur l’autel de ces croyances sanglantes, tout en haut des temples, chaque jour, des centaines, des milliers de personnes venaient à s’arracher le cœur à vif et l’écrabouiller sur la pierre pour glorifier le règne des cou-levés. Dévidés, ils dégringolaient tous, uns à uns, et retombaient dans l’inframonde avec le sentiment d’avoir accompli un acte plus grand qu’eux. Des boucheries immondes jonchèrent abondamment les cités et se mirent à attirer de plus en plus les fléaux des alentours. Pour eux, il y avait tout à gagner.
On leur donna même une place importante au sein de la société : ils étaient, en un sens, préférés aux humains profanes. Cependant, est-ce que ces créatures spectrales étaient réellement respectées et considérées ? Il était bien difficile de se prononcer sur une seule réponse uniforme. Car selon l’héritier du trône de la Cité d’Or qui prenait place, les fléaux pouvaient aussi bien devenir des serfs que des seigneurs. Les Mayas ne voyaient clairement pas en eux la stature prestigieuse que certaines ethnies paléolithiques pouvaient ressentir en leur présence : ils étaient, tout au plus, des animaux de compagnie, des êtres dont il fallait préserver l’essence et dont la présence se voulait pertinente dans une société structurée… quand ils n’étaient pas traités comme de vulgaires outils. Le prestige du statut social que certains Tlatoani(s) (nom d’emprunt donné au Grand Empereur Maya de la dynastie Xquic) offrirent aux fléaux les plus serviables incita certains démons à se rapprocher de l’ethnie dirigeante : ils connaissaient le fonctionnement politique de l’Empire Maya, la nature transcendée des prêtres élus, et saisissaient parfaitement la fenêtre d’opportunité qu’une telle proximité permettait. On assista ainsi, peu à peu, à une superposition des strates sociétales, entre le monde matériel et le monde occulte, au sein de la culture précolombienne. Des esprits vengeurs, des démons et des spectres puissants se virent ainsi attribuer des rôles de conseillers divins au même titre que les notables religieux humains : une véritable exception dans l’histoire exorciste.
De la sorte, le sang et la fange recouvrirent durablement l’Amérique pendant un long, très long millénaire… Si bien que les Mayas, dont les manigances gravitationnelles commençaient à se répercuter dangereusement sur les autres continents, se mirent finalement à traverser les océans en quête de terres arables et de ressources occultes. Vers les alentours du 8ème siècle après J.C, guidée par un instinct astral, l’influence Xquic alla se répandre sur une large frange de l’Afrique subsaharienne où ils purent s’étendre tout d’abord symboliquement en imposant leur idéologie religieuse. Une pensée païenne, utilitariste, qui considérait toute existence, matérielle et occulte, comme strictement inférieure aux uxe’nab’al, prophètes inféodés au Tlatoani, l’Empereur Xquic lui même mandaté par Hunab Ku, le créateur du vide, pour préparer la Terre à sa venue. Quelques tribus esseulées se mirent à adhérer directement à cet axiome spirituel, certaines autres discutèrent avec les représentants et finirent par accepter sous la contrainte, mais lorsque la butée de l’exorcisme s’érigea pour faire front à cette conquête, le choc devint alors inévitable. Les premières formes de la Grande Guerre Sainte, qui se déroula moins de cent ans plus tard, furent ainsi révélées par ces affrontements.
Et comme si l’oppression était vouée à se répéter éternellement, les exorcistes qui jusqu’ici avaient gagné la bataille de la morale en Afrique se retrouvèrent rapidement bafoués. Leur légitimité fut anéantie par le rouleau compresseur maya au profit des prophètes uxe’nab’als et des fléaux dominants. Au Soudan et au Darfour, le clan Zaghawa, régent spirituel de l’Est africain, fut considéré comme le seul véritable rempart face à l’extension du territoire sud-américain. Quant à l’ethnie Ket, détentrice de l’autorité exorciste de l’Ouest africain, protectrice de la forêt centrale du bassin congolais, connue, reconnue dans tout le continent pour sa maîtrise de la matière organique et sa capacité à donner vie aux choses inertes, elle n’eut pas autant de chance et fut totalement décimée. Il ne fallut qu’une seule journée, à peine, à la dynastie Xquic pour parfaire leur extinction : ils avaient déjà pour habitude de massacrer leur propre population, alors les ennemis de l’Empire d’Or n’avaient qu’à bien se tenir. On exuma les corps décharnés des exorcistes et transforma les restes humains encore chargés d’énergie occulte en reliques : une pratique qui ne fut pas sans rappeler celle des Nécrologues de Kabou, une secte noire antique d’Afrique qui avait fui le continent lors de l’Exode Révélatrice en -700 avant J.C.
Ce fut ainsi que, sur ordre du grand Tlatoani de l’époque, Akbal Xquic dit “l’Empereur d’Or” ou encore “le Roi de l’Aube”, l’élite de la civilisation précolombienne colonisa la quasi-totalité de la côte ouest-africaine. Pour les profanes, l’Afrique avait toujours été considérée comme le berceau de l’humanité, un lieu rempli de ressources naturelles précieuses, humaines, animales, végétales et minérales mais pour les mages, il s’agissait d’encore bien plus que cela : ce continent sacré était le lieu de naissance du premier fléau de l’histoire, la terre des premiers mages, l’épicentre de l’énergie occulte terrestre, le trésor originel du monde occulte… Les Mayas l’avaient compris avant tout le monde visiblement. Guidés par un instinct d’outre-terre, une connaissance des phénomènes occultes qui n’appartenait pas aux hommes, tombant depuis le ciel noir comme des météores maudits, les guerriers et les prophètes Xquic livrèrent une guerre sans merci aux clans rebelles. Les conflits entre les Mbonga et les uxe’nab’als s’intensifièrent pendant de nombreuses années sur le littoral camerounais ; leur résistance s’avéra beaucoup plus féroce que celle des Ket. Après tout, ils étaient réputés pour être les combattants les plus habiles de toute l’Afrique.
Cependant, à l’instar de leurs frères congolais, ils comprirent finalement que ce n’était pas qu’une question de combat et d’endurance lorsque la venue de l’Empereur sur les terres africaines fut officialisée. Les premiers combattants qui l’aperçurent crurent tout d’abord voir une Calamité : un être pantagruélique sans visage, complètement émacié, à la limite du décharnement, doté de segments anormalement longs et pendants, d’un corps difforme accroupi, rampant, bardé de voiles d’or et serti d’une infinie gaze noire, entouré par des prédicateurs désarticulés et désincarnés, qui avançait sans bouger et dont l’impression de gravité se matérialisait par des déflagrations de pression spirituelle insoutenables. Au moment de lever la main pour mettre fin aux chamailleries de la campagne, les lutteurs Mbonga entendirent tous, figés, une petite voix étranglée prononcer dans leur langue natale les mots « extension du territoire : sacrement préalable de l’harmonie ». Puis… plus rien. Au sortir du rideau royal dans lequel le reste des combattants récalcitrants fut intimé, un abysse gigantesque, une absence absolue de toute chose en un espace précis… le véritable accueil du Vide créateur. La suite fut alors la fuite, la seule solution raisonnable pour tous les rescapés du massacre. Avant de s’éteindre eux aussi, les émissaires Mbonga participèrent alors à la diffusion d’informations cruciales sur la nature des Xquic, sur les pouvoirs dont ils avaient hérité, sur l’apparence et le don de l’Empereur d’Or… Des données extrêmement précieuses qui permirent aux Zaghawas et aux Ndombe de se prémunir réellement contre la déferlante maya.
Cette nouvelle traversa la mer baltique, les montagnes du Caucase et s’infiltra jusque dans les terres du Nord de l’Europe ainsi que dans les plaines chinoises. Ce changement majeur dans la sphère occulte scella définitivement les bases de la plus grande guerre entre mages que le monde eut jamais connu. Ce fut une promesse solennelle à laquelle aucun camp ne se déroba. Aucun.
Thème du chapitre
Le tumulte des mondes occultes n’épargnait définitivement aucun espace géographique. Les fléaux existaient partout où la vie demeurait, qu’importe sa nature. Il fallait se situer hors de toutes les dimensions pour échapper à cette inépuisable échéance. Et encore, rien n’était moins sûr. Car dès qu’il semblait y avoir un mouvement, même infime, les mailles de l’immense toile du réel se mettaient à onduler, à frissonner. Des flux d’énergie occulte comme autant d’imperceptibles aurores polaires, comme des cordes quantiques multicolores tirées depuis l'infini, circulaient partout, pour tout, dans le ciel, sous terre, entre les êtres et les choses. Personne ne pouvait décemment se vanter de ne pas avoir été confronté à l’un des phénomènes que l’énergie occulte faisait advenir. Consciemment ou inconsciemment, de gré ou de force, tôt ou tard, les individus s’éveillaient à la compréhension, à la maîtrise et à l’utilisation de ce pouvoir vibratoire qui redéfinissait les frontières du surnaturel.
L’effervescence des mages en Afrique et en Amérique pendant toute la période de l’Antiquité fit passer l’Asie pour une terre déchue de l’énergie occulte. Pour autant, ce ne fut clairement pas le cas. La culture du « fluide », appelé qi ou chi par certains mages des rives de la Mer Jaune, prit un essor considérable sous l’égide des Zhou de l’Est dès -700 av. J.C. Ils furent la première dynastie de tout le continent asiatique à accueillir correctement les exorcistes africains de l’Exode révélatrice et à leur offrir une véritable tribune d’expression au sein d’un conseil royal. L’adoption de ces hommes et de ces femmes capables des plus grandes prouesses chamaniques se fit dans un secret à peine dissimulé, tandis qu’autour de la capitale, les paganismes périphériques prirent l’arrivée de ces exorcistes comme un affront. On attribua beaucoup de prouesses, mais aussi beaucoup de tragédies, au fantasme de leur présence. Les légendes qui régentaient le quotidien des pauvres riziculteurs furent démantelées par la lumière des nouveaux prédicateurs Zhou. Les maladies les plus incurables furent soignées par la magie de ceux qui maîtrisaient le qi. Néanmoins, si elle se démocratisa à travers tout le continent, jamais l’utilisation de cette énergie ne franchit le seuil des champs de bataille asiatiques. L’idéologie légiste des généraux chinois banissait férocement toutes les fantaisies de ce genre. La guerre était l’essence de la perpétuité des nations, un acte politique sacré qui ne pouvait décemment pas être laissé aux mains de ces sorciers hors-sol.
Et ce fut quelque chose communément admis par tout le monde. En effet, contrairement à certaines autres interactions entre les cultures, les exorcistes venus d’Afrique se confortèrent dans un certain immobilisme social. Pour eux, la réalité humaine était déjà ce qu’elle était. Il était plus important de s’intéresser d’abord à la gouvernance des flux d’énergie occulte en Asie plutôt qu’aux conflits interminables entre les féodalités. Le monde occulte était déjà bien assez instable et la mission qui leur incombait réellement devenait de plus en plus évidente : il fallait surtout sauver tous les humains, quels qu’ils soient, des dérèglements énergétiques que leurs agissements occurraient. Assez logiquement donc, la dynastie Zhou n’eut aucune difficulté à se ranger quand éclatèrent véritablement les affrontements entre les différents états du plateau chinois. Ainsi, à l’issue de la période des Royaumes combattants, signant l’unification de la Chine en -200 av. J.C, lorsque les Zhou furent totalement évincés du trône, les mages-exorcistes décidèrent de former un clan en perdant leurs privilèges sociopolitiques et en se consacrant totalement à la lutte contre les fléaux. Ils devinrent les Jou et se tournèrent tous vers leur chef, Go Jou, considéré aujourd’hui comme la première souche de l’Orthodoxie exorciste.
Cet homme lunaire fut le premier mage du clan à développer des sorts innés de distorsion de l’espace. Son origine était un mystère, elle le demeura à jamais, mais son histoire, quant à elle, devint rapidement un récit légendaire pour les exorcistes. Dès sa naissance, on lui reconnut un physique de dieu : des yeux dotés de six iris concentriques, allant du bleu ciel au blanc nacré, un visage magnifique aux traits fins et symétriques, une peau totalement blanche semblable à celle d’un albinos, des cils très longs et une chevelure fournie, en cascade, d’un blanc immaculé, un corps de chérubin aux proportions parfaites… À l’âge de deux ans seulement, il démontra son aptitude à voyager à travers des portails et à s’affranchir des distances spatiales. En âge de parler et de maîtriser réellement son pouvoir, on remarqua qu’il ne perdait pas d’énergie occulte en lançant ses sorts et que sa perception des flux de l’énergie occulte dépassait jusqu’alors toutes les conceptions antécédentes. Au cours de son adolescence, il fut contraint de servir le grand État de Qin en tant qu’espion et développa une variante étrange de son pouvoir qui consistait à devenir lui-même un portail et à connecter, par sa présence, deux espaces opposés ensemble.
Ce qui termina définitivement d’asseoir son mythe dans l’imaginaire exorciste fut son invraisemblable longévité. Go Jou parut conserver l’apparence et la vigueur de ses 30 ans pendant des siècles. La beauté irréelle qui lui avait permis d’inspirer les codes esthétiques sous l’ère des Han occidentaux fut ainsi scellée dans un corps sans failles ad vitam eternam. Néanmoins, ce ne fut pas par la douceur de ses traits qu’il s’imposa dans tout le continent asiatique comme le père fondateur de la fédération exorciste. Son sort inné, la distorsion de l’espace et la création de portails, lui offrit la possibilité de voyager à travers le monde entier, d’étendre sa vision sur l’ensemble des phénomènes occultes de la planète et de faire la rencontre des mages étrangers les plus puissants. Il tissa un lien d’amitié avec Jésus de Nazareth et Bodhi Dharma, adopta le nom de Kare (“celui qui se déplace comme la brise” en vieux norrois) chez les scandinaves avec qui il cohabita pendant plusieurs années, décida de collaborer avec les Zaghawas, les Ket et les Ndombe, développa la culture de l’exorcisme dans les régions reculées d’Asie comme la Sibérie, la Mongolie, le Chenla ou encore l’archipel nippone… mais un jour, quelques centaines d’années après l’entame de son pèlerinage, en l’an 820, il se heurta aux Mayas et aux Xquic qui les dirigeaient.
Lui qui était réputé à travers les continents pour sa sérénité, sa sagacité et son sang-froid face aux exactions des démons, pour son aisance à trouver des solutions dans les pires situations, pour son aptitude à déjouer l'influence des Calamités, fut complètement détruit par ce qu’il constata. Quelle infamie ! Leur présence, leurs agissements, leurs pouvoirs, leur organisation… Tout cela dépassait l’étendue de ses cauchemars les plus sordides. En particulier cette divinité du néant qu’ils priaient assidûment. Elle n’était pas une Calamité, ni un démon, ce n’était pas non plus la représentation abstraite d’une divinité. Il le savait, au fond de lui : cette chose existait bel et bien et cette civilisation maudite préparait sa venue depuis maintenant presque trois millénaires. En comprenant cela, le monde s’écroula littéralement sous ses pieds. Il se reprocha d’être passé à côté d’une telle menace pour les mondes après ces longs siècles d’expédition. Ces regrets d’inaction lui coûtèrent, paradoxalement, quelques précieux mois de deuil, de remise en question et de culpabilité. Il parut même se résigner. En un sens, peut-être était-ce dans l’ordre des choses se disa-t-il…
Son immobilisme momentané força les Zaghawas, victime frontale de l’invasion Xquic, à prendre les devants et à solliciter directement une aide de l’Asie. En développant un sort de télépathie, ils parvinrent à entrer en contact avec deux clans émergents d’exorcistes japonais, initialement opposés dans une guerre fratricide entre les princes héritiers du trône du chrysanthème appelée Incident de l’ère Jōwa. Les Zen’nin, vainqueurs du conflit, affiliés à l’Empereur Montoku, et les Kamo, considérés comme les perdants, affiliés au Prince Teishi, furent respectivement appelés au secours par les Zaghawas du Darfour, incapables de contenir éternellement le débordement maya. Les sorts innés des branches principales de ces clans japonais avaient, selon les Zaghawas, le pouvoir de faire changer les choses, mais malheureusement, la fierté de ces ethnies exorcistes prit le pas sur la raison. Vexés par le caractère duel de la demande, aucun des deux clans nippons n’accepta. Les chefs campèrent sur leurs positions et tournèrent décidément le dos aux africains. Il fallut attendre le retour providentiel du sauveur, Go Jou, pour que les requêtes finissent par être correctement étudiées. Un mot : la Fin. La destination terminale de la vie sur Terre et l’ouverture d’une brèche vers l’extension permanente de la mort, une brèche qui, une fois traversée, n’allait plus jamais pouvoir être refermée… Qui était assez fou pour souhaiter cela ? Un nom : Akbal Xquic, l’Empereur d’Or des Mayas.
La marche que le Roi de l’Aube avait entamé ne pouvait pas être rattrapée aussi facilement. Il avait déjà pris trop d’avance. Il fallait mobiliser de grands moyens pour stopper cet empereur mégalomane et son inarrêtable ruée sur le continent africain. Go Jou, qui avait initialement décidé, à l’instar de ses ancêtres, de rester hors des affaires des hommes pour se consacrer aux fléaux et à la gestion des flux d’énergie occulte, changea du tout au tout. Il passa du messager œcuméniste au général de guerre, impitoyable, déterminé, obsédé par l’échéance du jugement dernier. Sans confronter directement l’Empereur d’Or, dont il craignait, à juste titre, l’extension du territoire, il se déplaça à travers l’Europe et le Moyen-Orient pour rassembler une armée d’exorcistes fidèles, prêts à lutter pour sauver le monde. Il contribua, en un sens, à l’avènement définitif du monothéisme saint dans ces régions et, en vue de la bataille finale, instaura une défiance profonde, pour ne pas dire une haine viscérale, envers les paganismes locaux. Ceux qui vénéraient les fléaux ne pouvaient plus être ignorés, ils devaient à présent être éradiqués. C’était malheureux, et en incitant cela, Go Jou rompait avec le pacifisme qu’il était censé incarner, mais il le fallait. À tout prix. Car lorsqu’elles allaient apprendre l’existence d’une idéologie religieuse qui légitimait leurs pratiques et leur permettait de continuer à subsister en bafouant la vie humaine, lorsqu’elles allaient prendre conscience qu’en adhérant aux principes occultes des uxe’nab’als et d’Akbal Xquic, leurs pouvoirs grandiraient, ces populations païennes allaient finir par devenir une force de frappe dévastatrice pour l’Empire Maya.
Les premières croisades exorcistes débutèrent donc en 850. Pour la première fois de l’histoire, ceux qui avaient toujours été victimes de la disqualification, de la déportation, de la destruction, s’érigaient comme les nouveaux bourreaux. Ce message de paix et de considération de l’être humain que véhiculaient les mages blancs se substitua à celui de la juste et absolue nécessité d’éradiquer l’ennemi. Il y avait une urgence d’agir correctement, efficacement, face à l’étendue des dégâts que l’idéologie païenne avait engendré… face aux massacres que les prophètes Xquic étaient en train de commettre en Afrique. Alors, par effet miroir, on décima les tribus qui ne souhaitaient pas être évangélisées. On ne laissa aucun survivant : la vengeance des rescapés pouvait alimenter la venue de nouveaux fléaux plus puissants et favoriser la propagation d’idées encore plus noires. Grâce à l’aide des clans japonais, coupables d’avoir ignoré les déboires des Zaghawas, le clan régent de l’Afrique de l’Est mit en place un rideau d’inversement pour empêcher tout franchissement de la part des Mayas. Cette barrière renvoyait automatiquement tous ceux qui essayaient de la passer à leur emplacement initial, quelques secondes auparavant. Elle permit de retenir le danger pendant une assez longue période, suffisamment pour permettre aux exorcistes de s’armer convenablement pour le conflit final.
Ainsi, après quarante années de luttes connexes, de mises en place, de stratagèmes de guerre et de préparations occultes, une armée de plus de 90 000 exorcistes accompagna Go Jou vers la forêt originelle du bassin du Congo. Elle allait devenir le champ de bataille de la plus grande guerre religieuse de l’histoire exorciste.
En l’an 896, la Grande Guerre Sainte fut ainsi officiellement déclarée… Le jour où Go Jou se présenta à Akbal Xquic, sur le pic le plus haut de la canopée, le vent ne souffla plus, le soleil s’arrêta de briller et l’air se figea comme un bloc. Le plus grand exorciste contre le plus grand maître des fléaux. La beauté suprême face à la laideur ultime. La blancheur immaculée opposée à la noirceur absolue. Cet antagonisme biblique était bondé de références : deux immortels, maîtres de la spatialité, conscients de ce qui les dépassaient, missionnés par quelque chose d’encore plus fort qu’eux, prêts à tout pour détruire l’autre. C’était comme si, depuis toujours, ils étaient voués à se heurter violemment et que cette collision orbitale était à présent imminente. La bataille entre les exorcistes et les prophètes faisait rage dans l’immensité de la jungle, mais au-dessus d’eux, tout était calme. Il n’y avait qu’eux deux. Aucune autre personne pour venir interférer.
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L’an 908 fut le véritable point de bascule de l’histoire exorciste. Au terme de douze années de combat intensif, Akbal Xquic ramassa les morceaux éparpillés de Go Jou pour les dévorer et parachever son œuvre. Par la force des choses, le mal avait vaincu. Une voix cosmique avait guidé l’Empereur d’Or jusqu’à ces cimes africaines pour y affronter son ennemi originel et l’abattre. Tout ce temps, il avait été transcendé par les visions incessantes d’un futur noir où Hunab Ku descendait du ciel pour venir le remercier en personne et imposer son véritable règne. Le moment était enfin venu. D’un cri strident, il appela tous les uxe’nab’als aux prises avec les exorcistes. Ces derniers, attentifs, s’évanouirent instantanément dans une fumée noire pour aller se condenser autour de leur roi dans les hauteurs de la forêt. À eux tous, ils formèrent une carapace humaine abominable, un monstre de corps difformes, et commencèrent à vrombir dans les mêmes fréquences vibratoires. Le noyau, Akbal Xquic, se recroquevilla dangereusement, au point de plier son propre espace corporel, de compacter sa masse et de disparaître pour laisser place à un minuscule vortex, vide et pesant. Les prophètes se décomposèrent tous un à un, absorbés par la pression insoutenable qui s’échappait du foyer central, au point de devenir des fragments de matière cristalline. Le silence éternel de l’espace infini prit place. La lumière qui alimentait la terre disparut d’un seul coup, un voile opaque couvrit toute la planète, et depuis le ciel noir, un faisceau intersidéral, comme un laser projeté depuis les confins de l’Univers, alla s’écraser lourdement sur l’emplacement exact de l’orbe. Il la gorgea en énergie occulte pendant quelques longs instants. La suspension verticale du rayon laissa le temps aux exorcistes présents de se demander ce qui se tramait. Toutefois, après quelques minutes, ils furent tous démunis : lorsque la luminosité du faisceau s’estompa, une entité sans traits, complètement abstraite, éventra la circonférence de la sphère et débarqua parmi les mortels.
Après plus de 3000 années de sacrifices et d’incantations, le peuple Maya rencontrait enfin son dieu. Jamais dans l’histoire des exorcistes et des mondes occultes une telle quantité d’énergie occulte n’avait été observée sur Terre. Un raz de marée spirituel inonda les flux d’énergie occulte qui circulaient à travers le monde. Les démons, les spectres et même les Calamités ressentirent exactement la même chose que les mages : un cruel, mais juste, sentiment d’impuissance. Et pour cause, sa simple présence sur le continent africain noya absolument tous les profanes qui s’y trouvaient. Quelques minutes après son éclosion, sans geste et sans intention, l’entité communiqua avec chaque être vivant pour leur indiquer, en seulement cinq mots, que son règne allait à présent pouvoir débuter : « extension du territoire : harmonie cosmogonique ». Un rideau s'étendit alors en un claquement de doigt autour de la planète ; de la nuit noire émergea le vide intersidéral. L’intégralité des individus, mages et fléaux, présents dans l’extension du territoire de cette chose furent alors soumis aux conditions inexplicables d’une existence sans matérialité, sans mort, sans sensation, sans information, ni aucun moyen de communication. Une stase noire où seules les pensées intérieures, prisonnières de leur propre carcan, étaient intelligibles. Une solitude éternelle dans le néant. Ce que les exorcistes appelèrent a posteriori l’ ge Mort s’abattit sur le monde.
Au sein de l’Harmonie Cosmogonique, plusieurs temporalités s’entremêlèrent. Pour les profanes, dont les consciences furent littéralement éteintes par l’activation du territoire, la durée de cet enfer ne fut pas perçue : ce fut comme si rien ne s’était passé. Et il en fut de même pour l’intégralité du monde physique. Tout sur Terre sembla rester figé. Néanmoins, pour les véritables victimes du territoire, les mages et les fléaux, les choses furent encore pires : le temps ressenti s’étala sur 400 années. Une éternité pendant laquelle seuls quelques rares êtres surdoués parvinrent à interagir. En effet, après de nombreux essais infructueux, des canaux de discussion éphémères purent enfin être établis entre différents intermédiaires : les quatre calamités qui avaient régné sur le monde occulte, quelques démons et… une petite dizaine de mages exceptionnels. Dans la détresse, ils oublièrent presque tous leur nature profonde, leurs convictions, leurs griefs, et se joignirent mutuellement en des points aléatoires pour tenter de communiquer. Les fréquences étaient instables et soumises à la science parallèle de cet univers vide, mais elles suffirent amplement pour établir une stratégie de sortie.
Dès le premier échange, deux des quatre Calamités furent hostiles à toutes propositions et se refermèrent automatiquement sur elles-mêmes : l’une trouvait un certain confort dans la situation qu’ils traversaient ; l’autre n’exprima tout simplement rien. Le reste se reposa toutefois sur le seul véritable échappatoire qui s’offrait à eux : une proposition farfelue émanant d’un certain Sho Jou. Permettre à une entité similaire d’entrer dans le territoire de l’Harmonie Cosmogonique et les faire entrer en collision. En théorie, le plan paraissait simple, mais en pratique, les choses étaient beaucoup plus compliquées. Jusqu’à son apparition, personne n’avait été en mesure de deviner l’existence d’une telle forme de vie… Personne, excepté les lecteurs olmèques. Pendant toutes ces années de stagnation spirituelle, Sho Jou était parvenu à accéder à la mémoire génétique de son ancêtre Go Jou et à constater qu’il avait déjà commencé à étudier la nature du « fléau ultime » que les Mayas pouvaient invoquer. Il en résulta qu’ils craignaient également la venue du dieu Kukulkan, autrement appelé le Serpent du Ciel, une entité similaire et antagoniste à Hunab Ku, et qu’il était possible de faire appel à lui en opérant un phénomène inverse à celui qui avait permis à l’Apocalypse d’arriver.
Les démons, les mages noirs et même les deux Calamités encore présentes considérèrent alors cet être mystérieux comme leur sauveur. Tous accordèrent ainsi leur confiance à Sho Jou. Après tout, il était le seul individu capable de générer la réaction nécessaire à la venue de cette déité grâce au sort inné de son clan, les portails. En effet, si par leur agglomération et leur pouvoir, les Xquic avait pu générer un petit trou noir pour appeler l’Apocalypse… Alors ils devaient apprendre à créer un trou de ver pour permettre à l’entité inverse d’entrer dans sa dimension. La faisabilité de cette option paraissait démesurément faible, mais ils n’avaient pas d’autres choix. C’était ça ou céder à la fixation éternelle de l’ ge Mort. Pendant d’interminables années de labeur, ils alimentèrent le signal de Sho Jou en énergie occulte et lui permirent, après plusieurs tentatives ratées, d’ouvrir une légère entaille dans le territoire de l’Harmonie cosmogonique. Cette fissure fut instantanément exploitée par la lumière.
La première lueur depuis 400 ans… Enfin ! Les consciences de tous les mages et de tous les fléaux purent apprécier la beauté d’une petite étoile filante qui transperçait l’obscurité. Ce fut quelque chose que personne ne put manquer. Très rapidement, ce minuscule rayonnement fut suivi par une chaleur et une mélopée enfantine qui chassèrent le gel insonorisé du néant. Comme les cieux s’étaient drapés d’un voile noir pour la venue de l’Apocalypse, ils furent aussitôt découverts par l’arrivée de cette nouvelle « chose » : d’un coup, d’un seul, elle arracha brutalemet le drap opaque qui submergeait le monde. Place au jour, place à la vie. Par une prouesse divine inexplicable, l’Age Mort toucha à sa fin aussi subitement qu’il était apparu. La Terre qui s’était, métaphoriquement, arrêté de tourner put enfin reprendre sa giration habituelle. Le temps et l’espace se restructurèrent normalement. Le cauchemar s’estompa et la réalité reprit son cours.
Néanmoins, si pour les profanes qui étaient parvenus à survivre à la venue de l'Apocalypse il ne s’était passé qu’une fraction de seconde, les mages, eux, furent sévèrement impactés par le retour à la normale. Au sortir de cette éclipse séculaire, beaucoup ne se réveillèrent pas. Même si le monde avait été sauvé, le désastre restait considérable : des centaines de milliers de morts, d’âmes traumatisées, de cœurs corrompus… Après tout, ils venaient de subir le sort ultime du plus grand fléau de tous les temps.
Sho Jou fut l’une des principales victimes. Il retrouva son corps brisé, le visage distordu par l’utilisation abusive qu’il avait faite de son sort. Force était de constater qu’il n’avait pas hérité de la beauté de son prédécesseur, au contraire, il ressemblait presque à l’Empereur maya qui l’avait terrassé, mais sa conscience était bel et bien intacte. En 908, il n’était encore qu’un enfant, mais il avait grandi dans les ténèbres absurdes de l’ ge Mort et avait vécu plusieurs existences humaines. Plus que cela, il était celui qui avait rapporté l’espoir aux hommes et aux fléaux en invoquant l’entité mystique qui avait vaincu l’Apocalypse. Il avait conscience des erreurs du passé, connaissait mieux que quiconque les problématiques du présent et savait pertinemment ce que le futur leur réservait. Par sa simple présence, il incarnait ainsi le renouveau de l’exorcisme, la « nouvelle vague » qui allait porter les idéaux de ses ancêtres jusqu’au pinacle du monde occulte.
Porté par la nécessité d’agir, le héros de l’ ge Mort convoqua une assemblée exceptionnelle d’exorcistes sur le sol nippon. Sept des dix mages qui avaient été témoins de son exploit répondirent présent. Chacun d’entre eux représentait un clan d’exorcistes : Kugen, Kamo, Zen’nin, Tsuin et Saimin, les clans d’Asie ainsi que Zaghawa et Ndombe, les clans d’Afrique. Avec Sho Jou à leur tête, ils décidèrent d’établir un nouvel ordre spirituel capable de répondre aux nouveaux enjeux occultes qui se présentaient à eux. L’Orthodoxie exorciste vit donc le jour en 909 avec pour missions principales d’empêcher quiconque de faire revenir l’Apocalypse, de détruire définitivement tous les paganismes et de perpétuer la mission ancestrale des exorcistes, à savoir réguler les fléaux et les flux d’énergie occulte. Automatiquement, le regard de cette institution se posa sur le continent américain en se posant la question suivante : que restait-il de la civilisation qui avait déclenché la fin du monde ? Sho Jou alla chercher les réponses de lui-même en se déplaçant sur le terrain : les Mayas existaient encore et n’avaient pas perdu une minute pour commencer à reconstruire la hiérarchie Xquic.
Tout laissait penser qu’ils préparaient une campagne similaire à celle qui avait précédé la venue de l’Apocalypse. Alors la Grande Guerre Sainte, qui ne s’était finalement arrêtée que quelques semaines, reprit de plus belle : encore plus fort et encore plus loin. Les champs de bataille se démultiplièrent en Afrique, en Asie et en Amérique. Cependant, cette fois-ci l’équilibre des forces n‘était plus du tout le même : la dynastie Xquic était complètement vannée, vidée par l’exploit interstellaire qu’elle avait accompli, elle avait sacrifié la quasi-totalité de ses prophètes uxe’nab’als dans l’invasion de l’Afrique… tandis que les exorcistes, soudés, organisés et soutenus par les populations locales, avaient considérablement développé leur puissance. La balance s’était finalement inversée. Malgré le soutien inconditionnel de tout le continent américain et des ethnies africaines occidentales, les Mayas peinaient très clairement à se rétablir. En l’an 800, ils comptaient plus de 5000 combattants dotés du sort inné de contrôle de la gravité et après la venue de l’Apocalypse, en l’an 950, seulement une petite centaine. Ils n’avaient plus d’Empereur, plus beaucoup de mages, et les démons qui s’étaient rangés sous leur tutelle avant l’ ge Mort avaient pris leurs distances après l’avoir subi de plein fouet.
Pourtant, ils n’abandonnèrent pas. Cela ne faisait pas partie de leurs principes. Ils continuèrent à se battre et à essayer d’envahir le continent africain, leur « terre promise », pendant pratiquement un siècle entier. Quelques faits d’armes notables furent à noter de la part des Mayas, mais les exorcistes de l’Orthodoxie parvinrent tout de même à grappiller du terrain et à soumettre les ethnies récalcitrantes, une par une, en Afrique de l’Ouest. Cette guerre d’usure épuisa la dévotion des Xquic et de leur peuple. Ils décidèrent, en 1050, de lever définitivement ses troupes. Comme évanouies, les forces mayas qui faisaient encore trembler le monde disparurent d’Afrique du jour au lendemain, sans crier gare. Sho Jou, devenu le Haut primat blanc de l’Orthodoxie, décida de se rendre en Amérique central, dans les cités-états mayas, pour observer directement la déchéance de ses ennemis et prévenir d’une éventuelle contre-attaque. Ce peuple n’était pas du genre à renoncer aussi facilement, l’histoire l’avait montré, alors il devait absolument savoir ce qui se tramait. Toutefois, après avoir arpenté de nombreuses villes désertes, quelle ne fut pas sa surprise en apercevant un charnier massif contenant quasiment un million de morts au beau milieu de la Cité d’Or qui avait appartenu jadis à Akbal Xquic. Les corps entassés formaient une gigantesque sphère de chair putréfiée, ils avaient presque fusionné dans leur décomposition. En s’en approchant, Sho Jou découvrit qu’au centre de cette couche de charognes, se trouvaient l’intégralité des prophètes uxe’nab’als, également décédés, recroquevillés en position foetale les uns contre les autres… Il ne l’avait pas directement vécu, mais cette ordonnancement mortuaire ne fut pas sans lui rappeler un bien triste souvenir. Le constat était évident. La civilisation maya s’était donc effondrée en sacrifiant la totalité de sa population dans une tentative désespérée pour rappeler l’Apocalypse.
Après 200 ans de guerre entre les mages noirs et les mages blancs, l’apparition de l’ ge Mort et la création de l’Orthodoxie exorciste, la fin de la Grande Guerre Sainte fut donc officialisée en 1053. Cette date historique marqua également le début du règne de l’Orthodoxie à travers la société exorciste.
Thème du chapitre
La violence était inhérente à toute forme de souveraineté. Cela ne faisait aucun doute. Alors, pour préserver la paix à travers l’histoire, les exorcistes durent sévir et commettre d’innombrables exactions. Le second millénaire fut ainsi l’occasion rêvée pour l’Orthodoxie d’asseoir définitivement son autorité auprès des mages et des fléaux. L’Amérique s’était complètement vidée de tous ses mages, l’Europe se faisait discrète, l’Afrique avait entièrement prêté allégeance à cette institution et l’Asie était à présent devenue le centre du monde occulte. Il n’y avait absolument plus aucun obstacle frontal à l’avènement des exorcistes… mais les menaces n’avaient pas disparu pour autant. Bien au contraire, elles étaient devenues beaucoup plus insidieuses et discrètes. La bataille continuait, mais autrement.
Face à la toute-puissance de l’ordre des exorcistes, les ennemis durent donc ruser et jouer sur d’autres plans que celui de la guerre totale. De nombreuses entreprises occultes furent lancées en Afrique pour lutter contre le colonialisme des exorcistes. On attaqua les rideaux des Zaghawa, assassina les représentants Jou, introduisit des spectres naturels dans des lieux fréquentés du Royaume de Dahomey… Tout cela pour mettre en péril la sécurité garantie par les infrastructures de l’Orthodoxie. La secte noire des Nécrologues de Kabou, une organisation antique de scientistes occultes directement issue de l’héritage culturel du Grand Alchimiste de Nagada, connue pour avoir été le premier regroupement de mages à avoir créer des reliques dans l’histoire exorciste, fut présentée comme l’une des principales instigatrices de l’insurrection païenne en Afrique. Ils n’avaient pas disparu, en vérité, ils avaient toujours été là : pendant l’Exode Révélatrice, pendant la Grande Guerre Sainte et aujourd’hui encore, ils revenaient pour combattre l’Orthodoxie sur le territoire africain.
Sho Jou, toujours considéré comme le véritable chef de l’Orthodoxie, s’éloigna de l’exercice de ses fonctions afin de se consacrer pleinement aux missions confiées par le Grand-Esprit Taemanai, l’entité qui avait sauvé le monde et qui continuait de le protéger de l’Apocalypse. Pendant près de deux siècles, l’enjeu de la gouvernance de l’Orthodoxie déchira l’institution. Chaque grande famille fit valoir ses intérêts et avança ses pions sur l’échiquier, mais l’une d’entre elles avança son fou un peu trop loin.
En 1680, dans le but d’augmenter les chances de se faire élire en tant que chef de l’Orthodoxie, Shinotori Kamo, le primat blanc de son clan, inventa une maladie extrêmement contagieuse pour détruire les fléaux. Il la nomma la Peste Occulte et la présenta fièrement devant la Haute Secte Blanche, une assemblée collégiale réunissant tous les chefs de clan. Elle fut accueillie comme une véritable avancée dans la lutte contre les fléaux, les acclamations confortèrent le scientiste dans sa course vers la gloire, mais au moment de planifier concrètement l’inoculation, Shinotori fit une affreuse découverte : cette maladie occulte, qui était censé inverser la régénération innée des fléaux et les consumer naturellement, s’introduisait également dans le cerveau des mages pour s’en nourrir et les tuer. Obnubilé par la renommée, il se priva bien de mentionner ce détail important et se débrouilla pour qu’on inaugure la première campagne de propagation en Amérique du Sud. Une terre peuplée de fléaux et dénuée de mages… Comme prévu, ce fut une véritable hécatombe et les retombées catastrophiques commencèrent à traverser dangereusement l’océan. Après tout, la circulation de l’énergie occulte n’était pas limitée par les frontières naturelles. Alors, Sho Jou et du Grand-Esprit Taemanai s’emparèrent rapidement de l’affaire. En joignant leurs forces, ils parvinrent à endiguer la propagation de la maladie en l’isolant dans une autre dimension occulte. Le chef du clan Kamo, déchu, fut sommairement exécuté par son successeur afin de laver l’honneur du clan.
Après de nombreux entretiens avec Taemanai, Sho Jou offrit finalement la gestion intérimaire des affaires politiques au clan Zen’nin. Le patriarche du clan, Makora Zen’nin, appelé le Général céleste ou le Fédérateur par les historiens, fut alors propulsé, en 1830, à la tête de l’institution sous le regard envieux des autres primats blanc. La défiance ancestrale qu’entretenait le clan Kamo pour le clan Zen’nin s’accentua à mesure que les directives organisationnelles furent données. Cette hostilité se propagea silencieusement dans les rangs de l’Orthodoxie pour atteindre la tête d’autres familles. Alors, après avoir évité de peu un asassinat orchestré par les Kugen et les Kamo, Makora décida, pour des raisons de stabilité interne, de séparer la gérance du Japon en deux : le sud fut accordé aux Kamo et le nord aux Zen’nin. Un acte de paix qui fut salué par tout le monde… seulement le temps d’une journée. En effet, le feu des tensions fut aussitôt ravivé lorsque Makora proposa l’introduction d’un nouveau clan au sein de l’organisation. L’administration du nord du Japon avait poussé les Zen’nin à côtoyer une ethnie aïnou d’Hokkaïdo dotée d’un pouvoir prodigieux, le don de fléaumorphose, autrement dit, la capacité à absorber un fléau et à obtenir ses techniques. Le Général céleste fut complètement séduit par leur culture, leur façon de voir le monde occulte et surtout, leur capacité au combat. Les Koutetsu étaient, à ses yeux, le renouveau de la lutte contre les fléaux.
Dans un premier temps, les refus furent catégoriques. On les jugea comme impurs, impis, inaptes à cohabiter et à coopérer avec des exorcistes. Les Kugen, réputés comme les guerriers de l’Orthodoxie, se préparèrent même à les exterminer en essayant de les faire passer pour une ethnie païenne : ils cotoyaient les fléaux, alors ils devaient logiquement les vénérer. Les Kamo, les Tsuin et les Saimin, un peu plus réservés tout de même, n’approuvèrent pas non plus l’idée de faire rentrer un nouveau clan dans les rangs exorcistes. Les Jou, en revanche, ne furent pas du même avis et se rangèrent du côté des Zen’nin. Après quelques pourparlers houleux, on força la main au reste des familles. Les Koutetsu allaient non seulement faire partie de l’Orthodoxie, mais ils allaient, de surcroît, être chargés de la gérance de l’Hokkaido et de la lutte frontale contre les fléaux. Ils étaient des experts de terrain dont on ne pouvait décemment pas se passer. Il fallait que tout le monde en prenne conscience. En 1847, l’avènement du nouveau primat blanc, Kurimuse Koutetsu, première femme de l’histoire exorciste à occuper un poste décisionnaire au sein de l’Orthodoxie, scella donc définitivement l’affiliation du clan à l’institution. Ses tatouages labiaux et ses tics de langage atypiques décontenancèrent d’abord l’auditoire au moment de déclarer sa foi exorciste, mais son discours, basé sur l’intransigeance à l’égard des créatures occultes, éclipsa tous les doutes. Elle prouva qu’ils connaissaient l’ennemi mieux que quiconque.
Toutefois, les intrigues intestines que le nouvel agencement de l’Orthodoxie put générer au Japon furent instantanément balayées par un événement tragique quelques années plus tard. En effet, alors que l’Europe s’embrasait avec les révoltes populaires du Printemps des Peuples, une traînée de poudre enflammée alla faire exploser l’institution exorciste. Au sens propre comme au figuré. En 1851, un groupuscule, composé de quelques mages noirs, décida de piéger le siège principal de Tokyo. À la tête de cette organisation, un homme se présenta, Mikhaïl Bakounine, et déclara qu’au nom de l'Église Noire, il libérait le monde occulte du joug des exorcistes. Véritable géant invincible, philosophe incantateur, théoricien de l’anarchie et de l’anomie spirituelle, il devint, en exécutant Makora Zen’nin au vu et au su de tous, la figure principale de l’opposition à l’Orthodoxie. Le regard du Général céleste n’était pas paniqué, mais il se déforma en implosant comme une bulle. Le sort inné de ce révolutionnaire était un mystère terrible.
La femme qui se tenait à ses côtés, mutique, en uniforme de fédéré, attira également l’attention. Elle ne se présenta pas, mais il fut impossible pour les mages qui l’aperçurent de ne pas rester ébahi face à l’étendue de son pouvoir. D’un sourire, elle faisait apparaître, au-dessus d’elle, des hordes de fléaux qui venaient s’abattre sur leur ennemis. Et rien ne semblait la limiter. Ni elle, ni les créatures qu’elle invoquait sans mal. Immobile, belle et implacable, elle tint l’intégralité des effectifs exorcistes en respect. Personne d’autre n’eut besoin de bouger. Au moment de quitter la place publique sur laquelle ils mirent fin aux jours du chef Zen’nin, la demoiselle énigmatique fit léviter un drapeau noir, posa un regard mélancolique sur la foule hébétée et alla, juste avant de s’éclipser, caresser la joue d’une jeune fille en larmes. En un sens, elle fit encore plus trembler les mages que Bakounine, l’homme qu’elle accompagnait. Derrière eux, les bâtiments explosèrent et les fondations s’effondrèrent.
Ils furent directement poursuivis par le seul clan en mesure d’agir face à cette menace anomiste, les Koutetsu. Débarquant comme un seul homme, envahissant Tokyo à la manière d’une troupe d’animaux enragés, ils montrèrent que l’Orthodoxie n’était pas une assemblée de prêtres inoffensifs. Les fléaux qui avaient été invoqués par la Dame Noire furent absorbés en deux temps trois mouvements. Toutefois, il était déjà bien trop tard. Le mal était fait. À eux deux seulement, ils avaient fait sauter un pilier de l’institution exorciste qui régissait le monde occulte depuis presque un millénaire. Il ne leur avait suffi que de quelques instants, mais ils s’étaient avérés fatidiques.
L’Eglise Noire continua de faire rage partout dans le monde. Bakounine perpétua les actions terroristes à travers les ères. Comme Sho Jou, il ne paraissait pas vieillir. Il fut pourtant déclaré mort par les autorités suisses en 1871, mais revint à la charge pendant les guerres mondiales pour assaillir l’Orthodoxie, plus déterminé que jamais. Il s’érigea comme le contre-pouvoir ultime face à l’expansionnisme des tortionnaires exorcistes et installa son mouvement dans le temps. Néanmoins, face aux attaques, l’institution ne baissa pas les bras et répliqua de plus en plus violemment. Au point de parvenir à éliminer de nombreux représentants de la secte noire… sans jamais, toutefois, parvenir à couper définitivement toutes les têtes de l’hydre. L’Eglise Noire était un ennemi légitime qui se dressait face à l’Orthodoxie sans détours, un antagoniste social, politique et spirituel qui n’avait jamais eu envie de se cacher…
Elle n’était finalement que le corollaire d’une longue et impitoyable domination du monde occulte.
Thème du chapitre
Comme à toutes les époques, de nouveaux défis furent présentés à l’exorcisme. Celui de l'hyper-modernisation, du capitalisme mondialisé et de la numérisation du troisième millénaire en fut un de taille. Les interrogations d’hier devinrent futiles et fugaces. Les gens se coupaient de leurs croyances pour foncer tête baissée dans leurs problèmes existentiels. La science profane niait solidement l’existence de l’énergie occulte. Dans ces conditions, on assistait lentement à la baisse de l’apparition des mages dans le monde et à une prolifération des fléaux. Les grandes villes regorgeaient de spectres urbains, les campagnes de spectres ruraux et de nouveaux démons, générés par les peurs contemporaines du vingt-et-unième siècle, voyaient le jour. Les primats blancs ne cherchaient plus à savoir comment pérenniser l’exorcisme dans la société profane, mais plutôt à comment s’insérer, en tant qu’individu, dans un monde qui filait à vitesse luminique. L’Orthodoxie exorciste n’était plus l’institution centrale du Japon, mais une secte parmi tant d’autres, soumise aux mêmes règles économiques et sociales que les clubs de sport, les conservatoires de musique ou les associations de collectionneurs. Les fléaux n’étaient plus le problème majeur du monde, mais un folklore de niche, connu seulement des complotistes et des chamanes. Face à l’énergie pétrolière et nucléaire, l’énergie occulte devenait risible. Il n’y avait plus de doutes à avoir : le monde matériel avait totalement pris le dessus.
Victimes de la colonisation exorciste et de la déchéance matérielle, seuls deux clans purent subsister en Afrique, les Zaghawas et les Ndombe. Afin de survivre, ils avaient totalement délégué leur souveraineté à l’Orthodoxie qui, par le biais du clan Jou, leur prodiguait d’importantes ressources depuis le Japon. Cette institution n’était plus la même. Les enjeux de société avaient profondément changé. Et si les clans peinaient encore à le comprendre, un homme l’avait très bien entendu. Genrō Zen’nin chercha longtemps à faire le lien entre la société civile et l’Orthodoxie, par des petites actions comme le développement de l’exorcisme à domicile, l’accompagnement des personnes capables de générer des quantités anormales d’énergie occulte ou encore l’organisation de conférence de vulgarisation de l’exorcisme… Il fut dédaigné par tous les camps. Les profanes le prirent pour un dégénéré et il manqua de se faire arrêter en 2027 pour atteinte à l’ordre public. Les exorcistes lui tournèrent le dos et lui demandèrent de changer de nom. L’opprobre lui fut jetée au nez comme un torchon sale et il fut contraint de prendre ses distances. Cependant, un jour, après six années de silence radio, alors que le paysage politique du Japon était en train de se métamorphoser, il réapparut, multimillionnaire, PDG d’une société impériale de courtage en assurance, pour racheter l’Orthodoxie exorciste.
Une force de frappe financière considérable capable d’apporter le poids qui manquait à l’institution pour faire parler d’elle… Après avoir été rejeté, Genrō Zen’nin revenait en héros. En 2033, il fut automatiquement promu Chef de l’Orthodoxie par Sho Jou. Personne d’autre que lui ne pouvait tenir ce rôle à présent. À l’instar de son ancêtre, son arrivée au pouvoir entraîna de nombreux changements structurels : une répartition stricte des domaines de compétence, une organisation hiérarchique similaire à celle de l’Empire, la présence du Grand Esprit Taemanai dans les réunions collégiales, des budgets… et surtout la volonté non dissimulée d’intégrer l’intérieur de la sphère impériale. Une Orthodoxie ultramoderne voyait donc le jour et avec elle, une nouvelle problématique : comment est-ce que ces changements allaient être accueillis sur le long terme par les autres primats blancs ? Car s’ils étaient arrivés comme un éclair, il fallait encore que retentisse l’orage. Et en 2035, il tardait encore à arriver…
L’avenir de l’exorcisme mondial se jouait dès à présent, et plus que jamais, il était lié au destin des profanes qui régissaient la société civile.
Thème du chapitre
Période actuelle. La suite de l’histoire n’attend que vous.