Plus que quelques minutes avant la fin de l’année scolaire. Elle poussa un petit soupir, qui lui valut un regard de travers de la professeure. Ah, oui. Le silence. Toujours et encore. Assourdissant, surtout pour un esprit aussi vif et agité que le sien. Passer une journée de plus cloîtrée dans cette classe aseptisée aux allures de centre de redressement lui semblait impossible. Même l’horloge numérique accrochée au mur faisait défiler les chiffres sans faire le moindre bruit. Yui prenait son mal en patience. Elle sentait déjà sa jambe droite s’agiter sous la table, et se retenait du mieux qu’elle pouvait pour ne pas céder. Une fine goutte de sueur perlait sur son front, tandis que toutes ses pensées se bousculaient dans son crâne.

J’ai bien fermé la porte en partant ?
Il est beau le ciel.
J’ai envie d’une glace.
J’espère qu’il y aura des lapins sur le chemin de la maison.
Et que mes amis seront là pour ma fête.
Ma fête.
Ma fête ?
EH MAIS C’EST MON ANNIVERSAIRE

Et l’enseignante annonça d’un ton monocorde :
— C’est tout pour aujourd’hui. Vous êtes libres. Bonnes vacances et bonne continuation. Sortez dans le calme s’il vous plaît.

La réalité la rattrapa rapidement. Ça y est. Elle était libre. Libre. Elle ramassa ses affaires dans un sursaut agité avant de bondir, le plus silencieusement possible, hors de la salle de classe. Yui dut se mordre la lèvre inférieure et serrer ses livres contre elle pour se retenir de sauter, courir et s’agiter dans le couloir qui menait jusqu’au hall de l’école. Comment est-ce qu’elle avait pu oublier son propre anniversaire ? C’est les joues toutes gonflées qu’elle s’extirpa enfin de l’enceinte du collège pour pousser un grand cri de soulagement.

— LEEEEET’S GOOOOOOOOOOOOOOO !

Elle pouvait enfin extérioriser et libérer la boule de nerf qui lui rongeait les neurones. Elle rentra chez elle en sautillant, en essayant d’ignorer les regards noirs qu’on lui jetait. Aujourd’hui, elle avait le droit. C’était SA journée. Même si elle l’avait un peu oublié. Elle se hissa dans le bus en se tortillant, folle de joie à l’idée de rentrer chez elle pour organiser le goûter d’anniversaire qu’elle avait prévu — et oublié — depuis plusieurs semaines. Tous ses invités avaient confirmé leur présence : Yagi, Morika, même Shimura et Shizuku, qui s’étaient éloignés de Chiba plus tôt dans l’année. Yui remonta enfin la rue qui s’étendait entre l’arrêt de bus et son objectif : la façade en pierre grise qu’elle appelait « maison ». Un vélo était déjà appuyé contre la clôture, indiquant que Morika l’attendait probablement déjà à l’intérieur.

Yui balança ses chaussures à peine la porte passée, et se déplaça jusqu’au salon en mélangeant danses exotiques et bonds surprenants.

— MORIKAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA Ah, coucou maman !

Elle étouffait déjà son amie dans ses bras lorsqu’elle prit conscience que cette dernière buvait un thé avec sa mère. La tasse était désormais vide, et son contenu, lui, imbibait chaudement la jupe de la pauvre Morika en détresse respiratoire. Elle la relâcha dans un hoquet surpris et désolé, tout en fusant à la recherche de serviettes aux motifs de petits lapins pour lui essuyer les vêtements.

— PARDON EUH JE SUIS DÉSOLÉE JE SUIS JUSTE UN PEU EXCITÉE, fit-elle remarquer au cas où ses proches ne l’avaient toujours pas compris.

Elle prit une grande inspiration pour se reconcentrer. Difficile, mais pas impossible. En rouvrant les yeux, elle constata que sa mère et Morika avaient pris le temps de préparer la table pour son goûter d’anniversaire, ce qui alluma dans ses yeux une nouvelle étincelle de joie. Elle se mit à rougir, un peu plus intimidée à la fois par ses élans d’énergie et le fait que l’on puisse ainsi faire quelque chose pour elle.

Yagi, Shimura et Shizuku ne tardèrent pas à venir frapper à la porte, apportant quelques cadeaux et sucreries. Yui affubla immédiatement tout le groupe de chapeaux d’anniversaire en carton, surmontés d’oreilles de lapin. Évidemment. Pourtant, la vue des cadeaux sembla l’intimider : d’habitude, c’était elle qui en offrait. Rarement l’inverse. Mais avec eux, c’était différent. Ces amis-là la prenaient telle qu’elle était, sans la juger ni la faire se sentir de trop, ou trop extravagante. Ils étaient doux, et avaient même permis de l’apaiser, d’une certaine manière. Elle les enlaça dans un câlin de groupe qui n’enchanta que très moyennement les garçons du groupe, Yagi et Shimura. Mais pour elle, ils feraient l’effort.

La joyeuse troupe s’installa à table et entama les discussions croustillantes ainsi que les crocs dans la charlotte à la framboise que Shizuku avait récupérée à la pâtisserie préférée de Yui. Et c’est là que le cerveau en ébullition de Yui trouva enfin son calme. Pour la première fois depuis longtemps, elle était silencieuse de son plein gré, écoutant ses amis discuter entre eux, la tête lovée au creux de ses paumes. Le monde tournait soudainement un peu moins vite et son esprit ne faisait plus des siennes. Elle était si heureuse que, le temps d’un battement de paupières, on aurait juré que ses oreilles de lapin étaient devenues sacrément réalistes…

— Et vous sinon, vous avez un compte TikTok ?